Vous savez que l’heure n’est plus à la blague lorsque même le ministre de l'Économie, Pierre Fitzgibbon, estime que les Québécois paient trop cher à la station-service.
Le 16 mai, Fitzgibbon a annoncé la mort imminente du prix plancher sur l’essence.
Voici le contexte.
Introduit en 1997, le prix plancher sur l'essence administré par la Régie de l'Énergie avait deux objectifs : protéger les distributeurs locaux, et maintenir les prix à un niveau abordable pour les automobilistes.
Deux échecs retentissants.
Tout d'abord, il faut rappeler que depuis près d'un quart de siècle, la Régie de l'énergie fixe chaque semaine un prix minimum arbitraire en dessous duquel l’essence ne peut être vendue.
C'est ce qu'on appelle officiellement le « prix minimum à la rampe».
Au lieu de laisser les stations-service fixer leurs prix en fonction des coûts réels, le gouvernement - par l'intermédiaire des fonctionnaires de la Régie de l'énergie - tente de déterminer les coûts de raffinage et d'acquisition de chaque baril d'essence, afin de fixer un prix « équitable ».
Les stations-service doivent s'y conformer, faute de quoi leurs concurrents peuvent les mettre en demeure.
Imaginez le scénario suivant : vous êtes propriétaire d'une station-service.
Vous vous dites qu'en réduisant le prix de quelques cents, vous attirez plus d'automobilistes. Vous réduisez alors votre prix, pensant avoir pris la bonne décision pour vous et vos clients.
Mais non ! À votre réveil, une lettre recommandée vous attend sur le perron. Il s'agit d'une mise en demeure d'une station-service concurrente.
Le motif du litige ? La concurrence déloyale!
Votre concurrent vous accuse en invoquant votre prix, qui est inférieur au minimum estimé par la Régie de l'Énergie. Pour éviter les poursuites et les pénalités financières, vous ajustez votre prix à la hausse.
Ce scénario vous semble-t-il farfelu ? Il ne l'est pas. Selon les rapports annuels de la Régie de l'Énergie, il s'est produit près de 4 787 fois entre 2018 et 2023.
Les vrais perdants ? Les automobilistes québécois. Heureusement pour eux, le prix plancher de l'essence sera bientôt chose du passé.
Mais certains pensent que les automobilistes devraient payer davantage. L'Association des distributeurs d'énergie du Québec (ADEQ) s'est récemment prononcée contre l'abolition du prix plancher.
Selon elle, cette abolition entraînerait une guerre des prix qui nuirait à la fois aux distributeurs locaux et aux consommateurs Or, cette guerre des prix permet aux consommateurs d'acheter de l'essence moins cher.
Bien que le prix plancher ait été introduit pour protéger les distributeurs d'énergie locaux, c'est le contraire qui s'est produit.
Alors que les principaux distributeurs de carburant détenaient 49 % du marché québécois en 2010, ils en détiennent aujourd'hui 71 %. Le prix plancher n'a pas protégé les distributeurs locaux, et encore moins les automobilistes québécois.
En fin de compte, le prix plancher n'a fait qu'une chose : augmenter artificiellement le coût de l'essence et obliger les automobilistes québécois à payer plus cher.
La disparition du prix plancher sera accueillie favorablement.
Mais M. Fitzgibbon doit faire plus s'il veut vraiment offrir aux Québécois des prix abordables à la pompe.
Rien n'empêche son patron, le premier ministre François Legault, d'emboîter le pas au Manitoba, à l'Ontario et à Terre-Neuve-et-Labrador. Ces trois provinces maintiennent leurs réductions de taxes sur l'essence jusqu'à la fin de l'année 2024.
Ces trois provinces n'ont pas non plus de prix plancher pour l'essence. François Legault devra aller plus loin s'il veut offrir autant que ses homologues.
En abolissant le prix plancher, le gouvernement Legault a ouvert la boîte de Pandore : il reconnaît que les Québécois paient trop cher leur carburant.
Il reconnaît du même coup qu'il a une marge de manœuvre pour réduire le coût à la pompe.
S'il est cohérent, il en fera plus pour atteindre son objectif.
Éliminer le prix plancher, c'est bien, mais réduire les taxes sur l’essence, c'est mieux.